mardi 9 juin 2009

Si j'étais boulanger...

Il traverse la rue, il semble fatigué, les traits étirés, un peu amaigri.
- Salut Alain, comment tu vas?
- Ha salut, je vais bien. Faut que je garde cette médication là pendant tout le mois. Il m'avait dit la semaine passée qu'on l'avait changé de psychiatre et sa nouvelle a changé sa médication. Il ne l'aime pas, ca l'assomme trop, il s'endort partout.
Elle dit que je suis paresseux, il faut que je change ca.
- Tu es paresseux dans quoi?
- Ben je paye pour faire faire mon lavage, ca me coute 6$.
- Ben fais le toi-meme, ca va faire 6$ de plus pour toi, on peut faire ben des affaires avec 6$.
- Mais non, ca me couterait le meme prix pour les machines.
- Ha ok, je pensais que les machines étaient gratuites.
- Ben non.
- Ben j'appelle pas ca de la paresse alors, j'appelle de l'intelligence, t'sé faire le lavage c'est pas ce qui a de plus intéressant.
- Pis elle dit que je suis obsessif mais que c'est pas lié au monde imaginaire pis qu'y a juste moi qui peut m'aider là-dessus, elle a peu pas. Il me montre la paume de sa main droite, au milieu il y a de la corne bien épaisse.
Je pousse ma pognée de porte quand je rentre dans ma chambre pis elle dit que je le fais trop, c'est de l'obsession ca, ca l'air.
J'explore un peu.. ca dure combien de temps, c'est quoi ses pensées lorsqu'il fait ca, quel est le but? Il ne me réponds pas vraiment. Ca capacité d'introspection n'est pas très grande et la nouvelle médication n'aide surement pas. Nous sommes un peu pressés par la pluie qui recommence.
- Je pourrais le faire moins.
- Ben je sais pas, si tu le fais y doit y avoir une raison, mais peut etre que des fois tu pourrais changer de main. Il se mets à rire. Ou tu vas?
- M'en va au resto manger.
- Ok, ben bon diner.
- Quand est-ce qu'on se revoit? me demande-t-il.
- Je ne sais pas, bientot.
- Ok, je vais prier pour toi. Il me dit tout le temps ca lorsqu'on se quitte.

C'est drole, il n'y a pas de thérapie pour lui juste un controle par médication et une supervision dans un appartement. Et ca après 40 ans de services étatiques. Et on le dit paresseux, franchement, n'importe quoi. Moi j'emploi plutot le terme institutionalisé et il est à l'image de la qualité des services qui y sont rendus. Tenue peu soignée, cheveux gras, médication mal ajustée.
Comme si les gens qui y travaillaient n'avaient pas de fierté. Moi si j'étais boulanger, à la sortie des fours, je voudrais que mon pain ait une belle gueule. Je travaillerais en santé mentale, je voudrais que mes clients aient aussi une belle gueule.

Il porte sur lui les traces de l'économie que l'on fait dans les services pour l'investir dans les salaires et dépenses diverses. Au Québec on n'investit pas vraiment dans la santé des gens, c'est dans le système qu'on investit.
Vous croisez Alain dans la rue et vous ne vous doutez qu'il vaut 60 000$ par an, 8 000$ serait plus juste. Les 52 000$ servent à quoi? Et une fois mort, on disposera de son corps dans une fausse commune, facturée à grand frais. Pathétique, comme cette pluie.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Tiens, je suis contente d'avoir de ces nouvelles. La dernière fois, elles n'étaient pas bien bonnes.