Miss Laurier ne semble pas avoir apprécié que je lui dise qu'elle était la plus belle de la rue, selon moi. Je l'ai saluée aujourd'hui, elle fut d'un marbre muet, glacé comme mes pieds.
À l'avenir je l'a regarderai passer sans rien dire, je le fais pour beaucoup de gens d'ailleurs, pour ceux qui ne me veulent même pas à la rue, ceux qui me préfèreraient inexisant.
Je parlais du plaisir des sens dans mon billet précédent, continuons, parlons de la vue, plus particulièrement du regard, celui que l'on pose sur les yeux ou le corps de l'autre.
On peut penser qu'à Montréal, milieu urbain, les piétons passent comme ça dans un anonymat presque complet, sans être en relation avec ces autres qu'ils croisent sur un chemin qui n'a rien de commun. Mais c'est une fausse croyance.
En fait, le trottoir est un lieu d'interaction sociale, peut-être subtile, microscopique, mais pas moins important.
Ainsi je suis debout en marge du trottoir, une personne avance vers moi, et un peu avant de me croiser, je l'a vois dévier de sa trajectoire pour s'éloigner de ma personne et elle reprend sa ligne après m'avoir passé. C'est très fréquent, et bien sur, il ne sert à rien de demander, le message est clair, c'est non. Certains font des écarts plus prononcés, ils traversent la rue et reviennent ensuite du même côté. Je trouve ça risqué un peu pour eux, mais bon c'est leur choix.
Pour ce qui est du regard, il s'agit d'une danse. En me croisant, des gens fixent leur regard, droit devant, les yeux un peu exorbités, le visage éteint et dur. Un peu comme un caméléon, ils tentent de prendre la couleur du béton pour s'effacer de moi. Le plus souvent je laisse passer et je me tais, parfois je me fais plaisir, un peu malin, et je demande quand même juste pour agacer un peu, leur titiller, je ne sais trop quoi.
La rue m'a appris que le contact des yeux est une communication très importante. Il y a là une forme de reconnaissance qui semble anodine, mais cela fait partie de la socialisation.
Moi, le quêteux, je fais pareil avec certains autres quêteux. Ainsi, il y en a un qui me semble très méchant, je ne le regarde jamais dans les yeux, je ne veux aucun contact avec lui, même pas celui d'un simple regard, rien, fermeture totale. Je fais comme ces piétons.
J'ai appris, par la rue, à jauger mon regard et à en connaitre l'éventail de son registre.
Portez attention lorsque vous serez dans un lieu publique, peut-être le ressentirez-vous?
Bien que lorsque l'on est pas marginal, ça doit moins se sentir.
Personnellement ma façon de regardez les autres a beaucoup changé depuis que je fais le trottoir et bien sur, la façon dont on me regarde aussi.
Il y a beaucoup a documenter la-dessus, dommage que je n'étudies plus, je ferais une recherche là-dessus. Je retiens une chose, il y a beaucoup de gestes de socialisation même lorsque l'on se croit perdu dans l'anonymat d'une foule. Il y a là tout un concert de comportements humains visant à normaliser ou à marginaliser et qui se fait de façon microscopique. D'ailleurs les abeilles ont-elles besoin de discourir longtemps pour s'organiser? Les humains non plus.
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Il y a 9 ans
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