vendredi 17 avril 2009

Ne fermes pas ta boite...


Je croise le viellard à la marchette high teck et à la canne avec pince.
Moi - Bonjour monsieur comment ca va aujourd'hui?
Monsieur - Bien, le vent est bon
Moi - Oui, c'est une température confortable aujourd'hui. C'est quoi votre nom?
Monsieur - Ca - do - rette.
Moi - Bien, bonne journée monsieur Cadorette. Le saluer me suffisait pour aujourd'hui.

Je l'ai apercu pour la première fois il y a une semaine environ, il était loin devant moi. Je le croyais louvoyer lorsqu'il quitta le trottoir pour rouler sur le gazon tout bosselé. En m'approchant, j'ai vu qu'il portait aussi une canne, avec pince. C'est pour ramasser les papiers qui viennent terminer leur route devant l'immeuble de la résidence ou il habite. Un bel immeuble en pierre grise comme je les aime. Probablement un ancien couvant. Juste avant le joli petit parc coin Saint-Joseph et Saint-Laurent. Il me trouvait poli, alors on a discuté. Il a, si je me souviens bien, 84 ans, il fait ca pour se maintenir en santé et pour s'occuper. Il supporte mal d'etre enfermé entre quatre murs avec des vieux qui radotent.

Il racontait beaucoup, 1400$ par mois, c'est cher, les mois viennent vite dit-il.
Il m'explique aussi sa règle de trois. Les gens quittent deux fois, la troisième ils ne reviennent pas. C'est ce qu'il a observé. La première fois qu'une personne quitte pour l'hopital, elle revient un peu changé et quelques temps après elle repart. À son retour, elle est méconnaissable, éteinte, passive, et peut de temps après elle quitte pour ne plus revenir.

J'arrive au métro Laurier, Alain est sur son banc. Il ne se sauve pas cette fois-ci. Je lui demande si je peux m'assoeir, il me sourit.
Alain - Ben oui. J'ai pensé à toi me dit-il. Ce que tu m'as dit est très vrai.
Moi - Bien on s'est dit beaucoup de choses, on a discuté beaucoup l'autre fois, tu parles de quoi en particulier?
Alain - Ben mon fétiche, ma vie dans ma tete, mon imaginaire, ca m'a sauvé du mutisme je crois. Sans cette vie imaginaire là, je me serais fermé complètement. Mais je le sais pas si j'aurais du?

Alain me racontait qu'il a commencé à etre différent dès l'age de 5 ans. Il possède une boite avec des photos et différents objets. Cette boite enferme son monde imaginaire, une vie parallèle, celle qu'il aurait aimé vivre. On y retrouve une femme, sa femme, une fille qu'il a aimé lorsqu'il était jeune, des enfants et d'autres trucs dont il ne m'a pas encore parlé. Sans cette vie imaginaire m'assure-t-il, il serait dans un état végétatif, totalement éteint.

Je comprends mieux maintenant pourquoi il croyait que de connaitre une femme serait salvateur pour moi. C'est son reve. Il n'a jamais connu une relation amoureuse dans le réel et il aimerait tellement. Il réalise qu'il est probablement trop tard pour ca et qu'il ne lui reste que l'imaginaire. Je sens que notre discussion a pour effet d'augmenter sa dose d'anxiété. Je détourne la conversation sur moi, il retrouve une position d'aidant, ce qui le rassure et le valorise.

Malgré cela, je me rends compte que ma facon de lui parler a eu pour effet de normaliser, pas sur que c'est le bon mot, de relever l'aspect utilitaire de son imaginaire et de son fétichisme et ca, curieusement, ca semble nouveau pour lui. Je sens qu'il aime pouvoir en parler sans se sentir jugé. Cette ouverture lui permet de se questionner lui-meme là-dessus, je crois, sans ce gros doigt réprobateur. Ce qui dans les faits est inutile, il s'en veut tellement lui-meme, pas besoin d'en rajouter. C'est comme si quelqu'un lui disait, tu sais tes symptomes que l'on dit dysfonctionnels et que l'on cherche à faire disparaitre? ils ont peut etre un sens? Et ca je sens que ca l'intéresse beaucoup.

Un jour peut etre, il me présentera sa boite, j'aimerais bien qu'il m'en parle. Il y a une vie là-dedans.

3 commentaires:

Une femme a dit…

j'aime tes petites histoires. J'ai l'impression d'y être et d'y reconnaître des gens..
Tous les matins je partais du métro Laurier ou st-joseph selon mon humeur pour me rentre au coin st-laurent et déjeuner dans le parc avant ma journée de travail à 2 pas de là.. en haut de la tomate, à côté de la caserne de pompier.. pour en ressortir l'été à l'heure du lunch, picniquer avec mes collègues..

Michel a dit…

Ha ben, alors tu dois connaitre la résidence Saint-Dominique, juste avant le parc. C'est la ou monsieur Cadorette ramasse les papiers.
Pis Alain, son banc est métro Laurier Saint-Joseph, devant la station de l'autre coté de la rue, près des taxis. Pour la tomate, je ne saisis pas?

Une femme a dit…

oui je connais la résidence, on y louait des stationnements au mois pour le bureau. La tomate, c'est le restaurant italien juste après la caserne de pompier où ils font des pizza Alsaciennes excellente!!
Si Alain quête du change avec sa casquette au métro, j'ai dû lui donner un bon 20-30$ lol